12:54 pm - 27 juillet, 2025

Le débat politique exige écoute, respect, argumentation, et ouverture d’esprit et tolérance. Si le respect du point de vue de l’adversaire est une élégance, la contradiction est l’âme du débat politique. Aussi, il ne faut pas compter sur le politique, l’intellectuel et l’ancien Premier ministre Choguel Kokalla pour ne pas donner suite à une interpellation ou une invective d’où qu’elle vienne.

Et sur les questions historiques, celle de notre mémoire récente, il est de ceux qui sont les plus outillés. Il ne souhaite pas être imbattable, mais comme tout homme d’État, l’ancien chef du gouvernement veut être sincère et sans aucune concession au mensonge sur les faits, les acteurs et leurs héritages.
Choguel Kokalla Maiga ne veut pas être seulement héritier de Moussa Traoré, mais observateur outillé à égale distance de toutes les grandes figures de notre histoire, de Kaya Maghan Cissé à Askia Mohamed, de Biton à Koumi Diossé, de Mamadou Konaté à Fily Dabo, De Modibo Keita à Assimi Goïta… Envers chacun il prône le respect de la mémoire mais aussi l’exigence de vérité sur leur héritage. Lisez pour comprendre.

Choguel Kokalla Maiga : ne travestissons pas l’histoire
DE LA MYTHIFICATION DE MODIBO KEÏTA A LA FALSCIFATION D’UN PAN DE L’HISTOIRE DU MALI CONTEMPORAIN : CAS MOHAMED SALIKÉNÉ COULIBALY

1. Le mois de mai, dans notre pays, est fécond en commémorations. C’est durant ce mois que les deux figures emblématiques de l’Union Soudanaise RDA ont disparu, Mamadou Konaté, le 11 mai 1956, Modibo Keïta, le 16 mai 1977. Commémorer la mémoire de ces deux illustres figures de l’histoire contemporaine du Mali a inspiré bon nombre de nos concitoyens. A travers des témoignages, chacun a développé sa part de vérité.
J’ai écouté les uns et les autres. Je dois avouer que j’ai appris, notamment en écoutant le témoignage sur le Général Abdoulaye Soumaré. J’ai également constaté un trop d’enthousiasme et de contre-vérités dans certaines prises de positions. Cela m’a inspiré un texte que j’ai intitulé « MISE AU POINT A PROPOS DES INTERVENTIONS ET POLÉMIQUES SUR LA MÉMOIRE DE FEU MODIBO KEÏTA, SUR LES FAMa ET SUR LE PROCESSUS DÉMOCRATIQUE AU MALI».

2. J’ai structuré mon texte en le divisant en trois grandes parties. J’ai donné, comme titre, à la première partie, « UNE HAINE VISCÉRALE CONTREPRODUCTIVE ». Elle a été conçue comme une suite à une récente attaque de Soumana Sacko contre Moussa Traoré. C’est ce qui m’a guidé à rédiger ce texte : j’ai eu à lui signifier que nous donnerons coup pour coup chaque fois que ce Président serait attaqué gratuitement, et surtout de façon mensongère.
La deuxième partie est intitulée « POUR UNE HISTOIRE NATIONALE NON FALSIFIÉE, NON TRONQUÉE ». Mon intention n’y est nullement polémique. J’y ai développé mes idées en deux subdivisions : « LA VÉRITÉ SUR MOUSSA TRAORÉ », et «L’ÉVOLUTION VERS LA CONCENTRATION DES POUVOIRS ENTRE LES MAINS D’UN SEUL HOMME».
La troisième partie porte, comme sous-titre, « AVERS ET REVERS D’UN BILAN». Les subdivisions en sont les suivantes : « Modibo Keïta et nous », « les Sociétés et Entreprises d’État (SEE) », « la Réforme de l’Enseignement en République du Mali », « l’Armée nationale », « le franc malien », « la Milice populaire ».

3. Nulle part ne perce une intention polémique. Mais, Mohamed Salikéné Coulibaly ne l’a compris de cette manière. Il a lu mon texte et reconnaît qu’il s’est senti interpellé. Cela est tout à fait à son honneur. Aussi, a-t-il rédigé une « RÉPLIQUE A CHOGUEL POUR LA MANIFESTATION DE LA VÉRITÉ » ; texte publié par la Revue Malikilé dans son numéro 1799 du 4 juillet 2025, pages 21-28.
J’ai pris connaissance du texte, je l’ai lu et relu, je l’ai déposé et, après m’être frotté les yeux, je me suis posé les questions : en définitive, que veut-il dire ? Où veut-il en venir ? De quel intérêt est-ce texte « pour la manifestation de la vérité » ? Assurément, son vœu, «Puisse Dieu nous inspirer ! » n’a pas été exaucé. Il s’est laissé inspirer par ce qu’il croit, non par ce qui est.
Du long développement, j’ai retenu : les amabilités à mon égard, la méthodologie d’analyse-critique de l’auteur, si toutefois on peut considérer ce texte comme analyse critique, les contradictions, les digressions, les insuffisances dans les connaissances.

4. Examinons cela de plus près. Je laisse de côté, les observations relatives à ma réplique sur des propos de Soumana Sacko. Si l’affaire de la Compagnie aérienne Sabena, sur laquelle Sacko a cultivé sa réputation surfaite et mensongère, était vraie, on est en droit de se demander, pourquoi lorsqu’il était Premier ministre en 1991, et qu’il a fait poursuivre le Président Moussa Traoré pour crimes économiques, personne n’a entendu parler de cette affaire ? (d’autres lui répliqueront en temps et lieu opportuns Ine Châ Allah ! ). Pour l’instant je ne vais m’intéresser qu’à ses observations inspirées par la lecture des deuxième et troisième parties de mon étude. Mes réflexions sont organisées à partir de citations extraites de ce que Mohamed Salikéné Coulibaly appelle, pompeusement, « mon travail d’analyse critique ».

Malheureusement, la tentation partisane demeure et se glisse de manière subtile derrière des sous-entendus et des formulations imprécises. J’avais entendu parler de personnes capable de lire dans la pensée des autres. Je n’avais pas cru à cette possibilité. Mais, à la lecture de la réplique qui m’est adressée, je me demande si je ne dois pas changer d’avis. Il m’est reproché « la tentation partisane », « des sous-entendus », « des formulations imprécises ».
Une démarche scientifique, dans un débat d’idées, recommande de s’écarter d’une telle démarche qui est une méthode permettant de faire dire à l’interlocuteur ce qu’il n’a pas dit ; de lui attribuer une prise de position qui n’est pas la sienne. Lorsqu’on a choisi de s’en tenir « à des faits vécus », on écarte de sa démarche tout ce qui est supposition.
En outre, la modestie est l’une des qualités de la démarche scientifique. Quelles que soient les divergences d’opinions, dans un débat d’idées, l’on doit se garder de certaines expressions comme celles à travers lesquelles on se pare du manteau de celui qui détient la vérité ; des expressions du genre : « je voudrais, en toute impartialité, apporter des rectificatifs à certaines de ses allégations tendancieuses ».
En aucun cas, des points de vue, des opinions, des arguments non étayés par des données précises ne peuvent servir de rectificatifs. Ils demeurent des opinions personnelles auxquelles le lecteur est libre d’adhérer ou de ne pas adhérer ; des arguties.

5. Mohamed Salikéné Coulibaly écrit dans sa réplique : « En tant qu’ancien Chef de Gouvernement, il devrait faire dans la nuance, et éviter de s’afficher de façon si clivante, en va-t’en guerre. C’est une faute politique».
J’ai horreur de tels conseils savants et ne vous reconnais pas le droit de m’en donner. En toute circonstance, je m’assume. Je n’ai jamais démenti que je suis clivant. J’ai même donné des précisions à ce sujet, parfois en bamanankan. Le gros reproche que l’on me fait est de n’avoir pas réussi à rassembler. J’aimerais que l’on me cite un seul exemple à travers le monde et l’histoire d’homme d’action ayant réussi à rassembler tout le monde.
Prenons le cas du Mali. La vie politique y a vu le jour en 1946 sur fond de clivage, de division. Tout a commencé avec Mamadou Konaté et Fily Dabo Sissoko. Les Soudanais sont appelés à élire leurs représentants à la première Assemblée constituante française d’après-guerre. Sissoko, de Horokoto, se rend à Bamako, sollicite que Konaté l’introduise auprès des notabilités de la ville afin d’appuyer sa candidature. Ce qui est fait et Konaté commencera même à faire campagne pour Sissoko jusqu’au jour où des concitoyens lui demandent de se présenter lui-même à l’élection ; ce qu’il fit. Du coup, les électeurs soudanais se trouvent divisés entre « konatéistes » et «Sissokoistes ». Or, « diviser » a, pour contraire «rassembler ». Il y a eu une situation clivante. Or, qui dit « situation » dit acteurs de la situation. Et les acteurs d’une situation clivante sont des clivants.
Par la suite, toute la vie politique au Soudan sera placée sous le signe de cette division, de ce clivage : clivage entre le PSP et l’US-RDA, clivages au sein du PSP et de l’US-RDA. Les clivages au sein de l’US-RDA seront abordés ultérieurement quand il sera question de cette opposition que j’aurais inventée entre Mamadou Konaté et Modibo Keïta. Sous la IIIème République, de quoi les acteurs du 26 Mars 1991, tout comme les partis qu’ils ont créés, ont-ils pâti ? Principalement, des clivages en leur sein.
Voilà les raisons pour lesquelles je ne m’émeus pas quand on me traite de « clivant ». On ne fait que me reconnaître une caractéristique propre à tout homme ayant choisi de s’engager dans une action d’envergure. L’homme d’action surgit dans la tempête, s’exprime, appelle à le rejoindre pour mener le combat qu’il estime légitime. A partir de là s’instaure le clivage entre ceux qui partagent son point de vue et acceptent de se ranger autour de lui et ceux qui rejettent son point de vue et refusent de répondre à son appel.
Seuls les théoriciens de l’utopie croient que l’on peut agir en se mettant au-dessus des clivages. Je suis clivant, je le reconnais. Mais, que l’on me cite un seul homme politique d’envergure, de 1946 (création de l’US-RDA) à nos jours, ou dans l’histoire contemporaine, qui n’a pas été clivant. Seul l’idiot fait l’unanimité. Or, il est bien connu que nul ne souhaite qu’un idiot sorte de sa famille : « naloma ko kadi bé yé ; nga ma chi ta fé naloma ka bo i chi la ». Même au pouvoir, un Chef de Gouvernement ne doit pas faire dans la nuance, surtout s’il est, de surcroît, un Président d’un mouvement politique et Chef de parti. Il descend dans l’arène et donne coup pour coup. Si l’on considère que « s’afficher de façon si clivante, en va-t’en guerre […] est une faute politique », c’est que l’on n’a rien compris à la politique car, l’action politique suppose adhésion ou rejet ; clivage.
Toutes les grandes figures politiques qui ont marqué l’histoire de l’Afrique, de l’Amérique, de l’Europe, de l’Asie, ont tous un parcours que, suivant votre logique, l’on pourrait qualifier de « clivant ».
Je termine ici par un détail amusant. A peine, la certitude a été faite, en juin 2021, que j’allais être nommé Premier ministre, une dizaine de partis politiques, tous des soutiens du pouvoir défunt, s’est réunie à la Pyramide du Souvenir pour la constitution d’un Gouvernement d’Union nationale. J’ai parlé de détail amusant car, quel militant de l’UDPM, aurait, au lendemain du 26 Mars 1991, demandé la constitution d’un Gouvernement d’Union nationale ?
A la suite de cette réunion, un slogan a été largement diffusé : « Tout sauf Choguel ! ». A partir de là, on se pose la question : en définitive, de Choguel et de ses adversaires, qui n’est pas clivant ?

6. Je note que Mohamed Salikéné Coulibaly donne un détail calendaire de l’adhésion à l’US-RDA de Hamadoun DICKO et de Fily Dabo SISSOKO. Cependant, il omet de mentionner qu’il y a eu une rencontre préalable des partis PSP et US-RDA, où il a été convenu de les fusionner en un front uni de lutte, pour aller à l’Indépendance. Cela éclaire la logique de leur adhésion, qui n’est pas un revirement.
Ai-je été lu de manière suffisamment attentive ? N’ai-je jamais dit ou sous-entendu qu’il y a eu revirement ? La remarque ci-dessus prouve à suffisance que ma pensée, au lieu d’être cernée et placée dans son contexte, est utilisée à des fins qui sont loin d’être les miennes. J’ai parlé de l’adhésion de Fily Dabo Sissoko et d’Hamadoun Dicko à l’US-RDA en donnant des dates. Nulle part, je n’ai parlé de revirement. Étais-je obligé faire cas de cette réunion au cours de laquelle le PSP et l’US-RDA avaient décidé de fusionner pour aller ensemble à l’indépendance ? Du reste, cette fusion a-t-elle jamais eu lieu ? Non ! Mon intention n’a jamais été d’éclairer la logique d’une quelconque adhésion. Et si j’ai évoqué l’adhésion des deux premiers responsables à l’US-RDA, c’était pour attirer l’attention sur ce qui s’est produit par la suite. Profitant de cette double adhésion, le Ministre de l’Intérieur, par Arrêté, a dissous le PSP ; ce qui relève de l’arbitraire, le PSP ne s’étant jamais mis dans une situation incitant à sa dissolution.

7. Plus loin, Mohamed Coulibaly avance : « Mais, insidieusement, sans en avoir l’air, Choguel s’emploie à donner de Modibo une image de dictateur, avide de pouvoir, qui a voulu la concentration de la totalité des pouvoirs entre ses mains». « Il se produit à l’intérieur de l’US-RDA, dit-il, ce qui s’est produit au sein de tous les partis politiques d’inspiration marxiste-léniniste… ». Pour lui, « Modibo KEITA a travaillé dans le sens de faire de l’US RDA un parti qui lui soit pratiquement inféodé »
Une fois de plus, la télépathie a fait son œuvre. Il m’est prêté des propos qui ne sont nullement les miens. Je ne veux pas donner de Modibo Keïta une image de dictateur. Du reste, le mot dictateur » ne figure nullement dans mon texte. Cela n’est que supposition de la part de qui, d’après ses propres propos, «s’ efforce à l’objectivité. »
Sur ce point, je m’en tiens au fait et ne fais que relater comment l’US-RDA a évolué sous le leadership de Modibo Keïta. Nul ne peut nier qu’il y a eu concentration du pouvoir entre ses mains après qu’il eut dissous, successivement, le Bureau Politique National et l’Assemblée Nationale.
Du reste, déjà en 1959, après la naissance de la République Soudanaise, Modibo Keïta était, à la fois : Président du Conseil de Gouvernement de la Fédération du Mali, Secrétaire Général de l’US-RDA Section du Parti de la Fédération Africaine (PFA), Président du Conseil de Gouvernement de la République Soudanaise, Chef de l’État, Ministre de la Défense, Ministre des Affaires étrangères, Ministre de l’Information, Maire de Bamako.
Peut-être n’était-il pas « avide de pouvoir », mais, force est de reconnaître qu’il aimait le pouvoir.
Modibo Keïta a fait de l’US-RDA un parti unique de fait, il l’a dissout de facto en ne convoquant pas le Congrès, en supprimant le Bureau Politique National de même que tous les Organes de base : Sections, Sous-Sections, Comités.
En ce qui concerne la violation textes, je vous renvoie au livre « L’Urne et le Glaive » du Dr Amadou Aliou N’Diaye, ancien président de la Cour Suprême du Mali. Pour en savoir sur la gestion solitaire du pouvoir, je vous recommande la thèse de Pierre Campmas : « L’Union Soudanaise RDA : l’histoire d’un grand parti politique africain ». De même, pour ce qui est de la déconfiture de l’US-RDA à la suite du déclenchement de la Révolution active, la lecture de Femme d’Afrique de Aoua Keïta est suffisamment édifiante.
Le slogan que l’on faisait répéter lors des manifestations de masses vous est-il inconnu ? Assurément que non ! Mais, vous avez dû l’oublier. Je vais vous le rappeler : Un seul parti : l’Union Soudanaise RDA ; une seule option : le socialisme ; un seul guide : Modibo !
Tous les responsables de la première heure, à l’exception notable d’une demi-dizaine, ont été écartés des rouages de l’État, livrés à la vindicte populaire, traînés dans la boue, taxés d’être « des essoufflés », « ceux chez qui la flamme révolutionnaire a pâli ». Lors de la Semaine de la Jeunesse de juillet 1967, la troupe de Kayes s’est illustrée par la pièce de théâtre : « Le Parti, ce n’est pas vous, le Parti, c’est nous ».
« Vous » renvoie à tous ces responsables de la première heure qui, chacun dans sa Section, s’est dépensé sans se compter pour implanter l’US-RDA et consolider ses assises de sa création jusqu’au déclenchement de la Révolution active.
Mohamed Salikéné Coulibaly poursuit : Pour lui, « Modibo KEITA a travaillé dans le sens de faire de l’US-RDA un parti qui lui soit pratiquement inféodé » (sic)
La formulation est, peut-être, abrupte, cependant, elle traduit la réalité. Pierre Campmas l’a fait noter dans sa thèse : en fin de règne, Modibo Keïta n’avait plus autour de lui que « le groupe des Guinéens » : Ousmane Ba, Bakara Diallo, Madeira Keïta, Samba Lamine Traoré. Rien d’étonnant qu’ils aient été les seuls, à l’exception toutefois d’Ousmane Ba, à inciter les populations à réagir contre le coup d’État de novembre 1968 : Bakara Diallo à Kayes, Samba Lamine Traoré à Ségou, Madeira Keïta à Mopti.
Tous ceux qui ont porté l’US-RDA sur les fonts baptismaux, qui ont œuvré à son implantation, de Kayes à Mopti, ont été passés à la trappe. On ne saurait imaginer l’US-RDA à Sikasso sans Jean Marie Koné, à Ségou, sans Dramane Coulibaly, à Mopti, sans Baréma Bocoum. Ni le Secrétaire politique du parti, Idrissa Diarra, ni son idéologue, Seydou Badian Kouyaté, n’ont été épargnés. Le premier a vu ses prérogatives pratiquement réduites à néant avec la suppression du Comité Directeur et remplacement par la Conférence nationale des Cadres. Le second s’est vu éliminer du Gouvernement à la suite du remaniement du 17 septembre 1966, Modibo Keïta s’étant attribué le portefeuille qu’il détenait, celui du développement économique.

8.- Je retiens aussi cette affirmation de Mohamed Salikéné Coulibaly à mon propos : « Il invente un conflit opposant Modibo au père Mamadou KONATÉ, allié de Houphouët BOIGNY, prêtant à Modibo d’être un communiste, apparenté au Parti Communiste Français (PCF) »
Je me demande si c’est seulement d’une remise à niveau dont certains ont besoin ou ; c’est le retour pur simple sur les bancs pour apprendre?
M’attribuer l’invention d’un conflit qui a conduit l’US-RDA au bord de l’implosion (ou de l’explosion comme on veut) relève d’une notoire insuffisance de connaissances sur la vie de l’US-RDA. Le conflit dont il est question est largement exposé dans différents documents. Abdoulaye Charles Danioko le relate dans sa thèse : « Contribution à l’étude des partis politiques au Mali de 1945 à 1960 » ; de même que Pierre Campmas dans la sienne mentionnée ci-dessus. Il en est de même de Joseph Roger de Benoist dans L’Afrique Occidentale Française de 1944 à 1960.
L’US-RDA elle-même a suffisamment renseigné sur ce conflit. Elle a publié, sous forme de texte ronéotypé, «Les Travaux du 4ème Congrès Territorial tenu à Bamako les 22, 23 et 24 Septembre 1955. » Les deux protagonistes, Modibo Keïta, présentant le Rapport moral et Mamadou Konaté, prononçant le Discours de clôture, n’ont pas manqué de décrocher des piques assez acerbes l’un contre l’autre. Abdoulaye Charles Danioko a même parlé de « la défaite de l’aile hostile au désapparentement », du «réquisitoire de Mamadou Konaté » et Modibo Keïta, d’« une opposition des leaders».
L’exigence d’être documenté sur un sujet pour en parler en évitant de se couvrir de ridicule doit être mise en avant par quiconque choisit de participer à un débat d’idées.
Quel est le conflit dont je suis supposé être «l’inventeur » ? « Il a envenimé la vie au sein de l’US-RDA de décembre 1950 à septembre 1955 et s’est conclu par un désaveu cinglant, voire humiliant, pour Modibo Keïta ».
Le voici exposé : Très tôt, le clivage se manifeste au sein du parti avec ce qui est connu de tous et qui perdurera jusqu’au déclenchement de la Révolution active : l’opposition entre ceux qui seront connus comme des «radicaux » et ceux que l’on présentera comme des « modérés ». Le heurt entre Mamadou Konaté et Modibo Keïta, heurt qui est loin d’être une invention de ma part est intervenu à l’occasion du « désapparentement ».
Houphouët-Boigny a connu une période communiste. Après la création du RDA, il scelle son apparentement avec le Parti Communiste Français (PCF), parti majoritaire à l’Assemblée Nationale Française au lendemain de la Guerre. Progressivement, le PCF perd de son influence. En Afrique, le RDA est l’objet de multiples représailles du fait de son apparentement. Estimant que « contourner l’arbre n’a jamais déformé le bassin du marcheur », sans consulter le Secrétaire Général, Gabriel d’Arboussier, sans consulter les membres du Comité Directeur, sans consulter les responsables des Sections territoriales, Houphouët-Boigny remet à la presse un communiqué signifiant la rupture avec le PCF.
Il est désavoué. Aussi, met-il sur pied une Commission de Sages pour sillonner les Sections territoriales afin de leur expliquer le bien-fondé de sa décision unilatérale. Les membres de la Commission sont ses plus fidèles lieutenants : Ouezzin Coulibaly, Hamani Diori et Mamadou Konaté. Le calendrier de leur tournée est communiqué aux responsables des différentes Sections territoriales. Au Soudan, Modibo Keïta est farouchement opposé au désapparentement. Avant l’arrivée des trois Sages, le BPN doit préciser sa position : l’US-RDA est-elle pour ou contre le désapparentement ? Le Secrétaire Général envoie une Circulaire aux responsables des Cellules de base leur demandant de s’opposer à la décision d’Houphouët-Boigny.
Le 6 décembre 1950 a lieu une réunion du BPN élargie aux élus. Les positions sont tranchées, la séance houleuse. On en arrive au vote. Mamadou Konaté menace démissionner si sa motion ne reçoit pas la majorité. Le résultat de la consultation est sans équivoque. Modibo Keïta est battu à plate couture, ne recueillant que 5 voix contre 11 à Mamadou Konaté. Le désapparentement est acté par la Section territoriale du Soudan. Le Secrétaire Général s’estime trahi par le BPN qui, auparavant, avait protesté contre la rupture d’avec le PCF. Mais, il n’est pas au bout de ses peines. Fortement fragilisé, il est invité à démissionner et à se remettre à la disposition de l’Administration. L’US-RDA est au bord de l’implosion. Les perdants, amenés par Mamadou Fadiala Keïta envisage la création d’un nouveau parti dénommé le Front du Travail. La sagesse finira par prévaloir, le projet est abandonné, l’unité du parti est préservée.

9.- « D’abord, l’US-RDA n’était pas un parti d’inspiration marxiste-léniniste », grave erreur d’appréciation, poursuit Mohamed Salikéné Coulibaly.

C’est plutôt de votre côté que se situe « la grave erreur d’appréciation », et il n’était nullement besoin de se lancer dans une argumentation savante en écrivant : «D’aucuns auraient perçu une familiarité plutôt avec l’idéologie maoïste», la « Révolution active » déclenchée étant à l’image de la « Révolution culturelle » chinoise. La composition sociale du pays, qui est majoritairement paysanne, et non ouvrière comme en ex-URSS (pays des Soviets), sous-tend cette similitude. Tous les lycéens qui ont fait le « Bac » cette année savent cela.
Ce qui est grave est que vous ne savez même pas ce qu’est un parti d’inspiration marxiste-léniniste à distinguer d’un parti marxiste-léniniste.
La différence entre les deux formes de regroupements politiques est nette et peut se percevoir à travers la phrase « tout parti de gauche peut être d’inspiration marxiste-léniniste, tout parti de gauche n’est pas marxiste-léniniste ». L’US-RDA et aussi surprenant que cela puisse vous paraître, l’UDPM, sont des partis d’inspiration marxiste-léniniste. Sur ce sujet, une petite remise à niveau vous sera salutaire.
Le parti d’inspiration marxiste-léniniste se caractérise par deux données : sa structure et son principe.
La structure fait distinguer, du sommet vers la base : le Congrès, le Bureau Politique National (ou le Bureau Exécutif Central), le Comité Directeur (ou le Conseil National), la Section, la Sous-section et le Comité. Le principe est le Centralisme démocratique.
Le parti marxiste-léniniste se caractérise par trois données : les deux ci-dessus citées et l’idéologie. Cette idéologie a pour fondement le renversement, par la violence, du capitalisme et l’instauration, à sa place, d’un régime dit « dictature du prolétariat».
Tous les partis communistes du monde ont, en commun, ces trois données qu’ils prennent, toutefois, soin d’adapter à leurs réalités nationales ; d’où les différences entre ce qui s’est passé en Russie et dans les pays d’Europe de l’Est et ce qui continue de se passer en République Populaire de Chine, en Corée du Nord, au Viêt-Nam, à Cuba.
En France, ce n’est qu’en 1976 que le PCF a renoncé à la violence comme moyen d’accéder au pouvoir, renonciation qui a permis son alliance avec le PS en 1981 autour d’un programme commun de gouvernement.

10.- « Par la magie d’une citation de Modibo Keïta à propos de « fardeaux du peuple », il laisse supposer que toutes ces structures n’étaient pas viables dès 1963.»
Je ne laisse pas supposer, j’ai cité mes sources. Sur la question, il y a lieu de ne pas être plus royaliste que le roi. Modibo Keïta en personne, dans son discours du 23 mars 1963 l’Assemblée Nationale, a reconnu les difficultés que connaissaient les Sociétés et Entreprises d’Etat, la nécessité d’en supprimer certaines, d’en restructurer d’autres, de procéder à un redéploiement de personnel. Une autre source que cite, la deuxième partie du livre de Cheick Modibo Diarrah, Le Mali de Modibo Keïta, « Le Mali empêtré ». Elle comporte deux chapitres, avec des titres suffisamment évocateurs : « Les difficultés économiques », « Les problèmes politiques » : « difficultés », «problèmes», ce sont là deux expressions qui créent un contraste saisissant avec le tableau idyllique que vous donnez du Mali avec «les données du bilan du premier quinquennal qui sont disponibles et qui témoignent du bond en avant effectué dans tous les domaines, avec une nette amélioration des conditions de vie de la population et une balance des paiements positives ».
Plutôt que de vous lancer dans des développements oiseux et fastidieux sur des sujets que vous êtes loin de maîtriser, lisez les deux chapitres qui constituent cette deuxième partie. Informez-vous davantage sur : « la réalité du plan quinquennal », « les difficultés des Sociétés d’Etat », « les problèmes agricoles », « la dégradation de la monnaie nationale », « les Accords monétaires franco-maliens de 1967 et leurs conséquences ».
Poursuivez votre documentation avec la lecture des passages consacrés aux sujets que sont : « données maliennes et socialisme scientifique », « le Parti divisé en clans », « les problèmes d’organisation du Parti », «les tentatives de redressement du Parti », « Parti unique et appareil d’Etat », « le déclin du parti », « le durcissement du régime ».

11.- « Mais là où mon frère Choguel me sidère réellement, c’est la banalisation de la merveille malienne de « la Réforme de l’Enseignement en République du Mali en 1962 » accueillie avec les éloges l’UNESCO.»
Décidément, Mohamed Salikéné Coulibaly n’en est pas à une contradiction près. Il reconnaît que j’ai fait ressortir les mérites de la Réforme de l’Enseignement après avoir soutenu qu’il est « sidéré » par la « banalisation de la merveille malienne ». Il en faut peu pour qu’il soit sidéré. Me prononçant sur la Réforme en question, j’ai développé les points suivants : son origine, ses avantages, ses insuffisances. Pour lui, c’est une «merveille ». Mais, pour quiconque fait la comparaison avec les Systèmes éducatifs des pays francophones de la sous-région, la Réforme est loin d’être une merveille.
Sur ce point, il y a voix mieux autorisée que la sienne et la mienne : celle d’Oumar Issaka Ba, qui fut, tour à tour, Instituteur, Professeur d’Enseignement secondaire général, Inspecteur de l’Enseignement fondamental, Directeur national de l’Enseignement fondamental, Ministre de l’Enseignement secondaire, supérieur et de la Recherche scientifique, père de la « ruralisation » et de la «pédagogie convergente ».
Après de bons et loyaux services rendus à la nation, il jouit actuellement d’une retraite méritée et en a profité pour publier ses mémoires en deux tomes : « Une Histoire de l’Enseignement au Mali.
Inattaquable, inapplicable réforme de 1962 ». « Mémoire de carrière ». J’en recommande la lecture à Mohamed Salikéné Coulibaly. Il découvrira que ce que j’ai dit de la Réforme est avérée. Il est vrai que l’UNESCO a salué la Réforme. Il ne saurait en être autrement si l’on sait qu’avec la création de l’Enseignement fondamental, le Mali s’est démarqué des autres pays francophones de la sous-région qui ont créé la structuration fondée sur : Enseignement primaire + Collège + Lycée. Les deux premiers ordres d’Enseignement de cette structuration constituent notre enseignement fondamental. Du reste, beaucoup d’écoles privées du Mali, conçues pour enfants de privilégiés, fonctionnent d’après cette structuration tout en passant les examens de fin de cycle des douze années de formation menant finalement au Baccalauréat. La Réforme a des mérites incontestables, cela ne doit pas conduire à en faire une « merveille ». Elle est une œuvre humaine et par conséquent, imparfaite. Réformez votre tacot, vous n’en ferez pas pour autant une Roll Royce. Par certains aspects, la Réforme prolonge l’Enseignement colonial. Une des causes de la crise actuelle de notre Système éducatif résulte du fétichisme qui lui a été attaché et qui a détourné de tout essai de mise à jour.
A suivre

Source : Info Matin



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