La Charte nationale pour la paix et la réconciliation remise au président Assimi Goïta le 22 juillet 2025 est issue du Dialogue inter-Maliens pour la paix et la réconciliation (avril-mai 2024), un processus visant à répondre aux crises récurrentes au Mali, notamment les rébellions, les violences intercommunautaires et le terrorisme.
Elle marque une rupture nette avec l’Accord d’Alger de 2015, déclaré caduc le 25 janvier 2025 par les autorités de la transition.
En effet, pour la première fois dans l’histoire de la République, un ‘‘Accord de paix’’ entre les Maliens privilégie une approche «endogène» basée exclusivement sur des consultations nationales et des valeurs sociales et sociétales de notre pays.
Solution malienne au problème malien
Si les efforts internationaux et régionaux, comme l’Accord de paix d’Alger, ont tenté de résoudre le conflit, le ressentiment national à l’égard de ces efforts s’est accru, notamment après les échecs répétés de leur mise en œuvre et l’instabilité persistante. Les autorités de transition estiment qu’un cadre national comme la nouvelle Charte est plus à même de mobiliser les communautés nationales et de favoriser une véritable réconciliation nationale.
La grande force de la Charte nationale pour la paix et la réconciliation remise au président Assimi Goïta le 22 juillet 2025 est qu’elle a été élaborée suivant un processus inclusif qui a impliqué environ 3 000 Maliens, dont des délégués régionaux, des représentants de la diaspora, des femmes, des jeunes et des réfugiés. Cette approche participative visait à refléter les aspirations de diverses couches de la société.
La Charte s’inscrit dans la volonté de souveraineté de notre pays qui rejette les ingérences et les interférences étrangères comme cela était de mise dans l’Accord d’Alger. Cette approche privilégiée par la Commission Ousmane Issoufi Maïga répond à un sentiment nationaliste fort, notamment après les tensions avec la France et la MINUSMA.
Par ailleurs, elle s’aligne sur la Constitution de 2023 qui met l’accent sur l’intégrité, la justice, la solidarité, la souveraineté et la défense des intérêts des populations : ‘‘l’action publique est guidée par les principes fondés sur le respect de la souveraineté de l’Etat, les choix souverains du Peuple et la défense de ses intérêts’’ (article 34).
« Ce n’est pas un simple document », a déclaré le Premier ministre Abdoulaye Maiga lors de l’atelier. « C’est un moment historique de souveraineté. Nous prenons pleinement en main notre processus de réconciliation, guidé par nos propres valeurs et l’intérêt national ».
La nouvelle Charte nationale doit servir de pilier central aux efforts de notre pays pour reconstruire l’État, promouvoir la paix et renforcer l’unité nationale.
Charte nationale, sursaut national
Pour l’appropriation et la mise en œuvre de la charte, une campagne nationale de communication est prévue pour promouvoir la Charte et assurer son appropriation par les citoyens et les institutions, ce qui pourrait renforcer son acceptation populaire. En effet, afin que la Charte touche et trouve un écho auprès de toutes les composantes de la société malienne, le gouvernement prépare une campagne nationale de communication. L’objectif est d’informer les citoyens et les institutions des objectifs de la Charte, de susciter l’adhésion du public et d’orienter l’action collective vers la paix et la consolidation de l’État.
Les autorités de la transition considèrent la Charte non seulement comme un outil politique et juridique, mais aussi comme une déclaration symbolique de réaffirmation de la souveraineté de notre pays dans la gestion de ses propres efforts de paix. En s’éloignant des cadres externes et en se recentrant sur le dialogue national, les autorités de la transition espèrent favoriser une cohésion sociale plus profonde et restaurer la confiance dans les institutions étatiques.
Alors que notre pays poursuit sa transition patriotique et la consolidation de sa souveraineté reconquise, la Charte nationale pour la paix et la réconciliation devrait jouer un rôle essentiel dans l’orientation des futurs dispositifs politiques et sécuritaires.
Toutefois, l’arbre ne doit pas cacher la forêt. Les autorités se doivent de poursuivre leurs efforts pour recoudre le tissu social et accorder les Maliens sur l’essentiel. Personne n’est sans savoir que de nombreux partis politiques (plus de 200 sur 500) et des groupes armés séparatistes en rupture avec la République, notamment ceux affiliés au Front de libération de l’Azawad (FLA), ont boycotté le Dialogue inter-Maliens, dénonçant un manque de transparence ou une instrumentalisation politique. Ce manque d’inclusivité réelle pourrait limiter l’adhésion à la Charte. Or, l’absence des groupes armés séparatistes instrumentalisés et armés par l’Algérie qui héberge aujourd’hui sur son territoire est un défi majeur à la mise en œuvre de la charte. Car leur participation est cruciale pour sceller une réconciliation définitive entre Maliens pour le Mali Kura.
Appel aux retardataires
La Charte quoique de volonté et d’ambition nationales risque de reproduire les mêmes écueils et les mêmes travers que les Accords passés si elle ne parvient pas à fédérer toutes les parties prenantes, notamment les groupes armés séparatistes et les toutes ‘‘communautés marginalisées’’ du pays.
A ce défi structurel, l’on notera également que bien que la Charte soit ambitieuse, les détails sur sa mise en œuvre (calendrier, financement, mécanismes de suivi) restent à parfaire. Les expériences passées montrent que l’absence de ressources et de volonté politique peut compromettre les initiatives de paix.
Qu’à cela ne tienne, notre Charte bénéficie d’un fort ancrage nationaliste, ce qui devrait mobiliser tous les Maliens autour d’une vision souveraine. Les consultations inclusives, bien que ‘‘partielles’’, ont permis de recueillir des contributions de diverses régions, renforçant la légitimité du document. La volonté de la Charte de rompre avec l’Accord d’Alger, perçu comme imposé par l’extérieur, répond à un sentiment populaire de défiance envers les interventions étrangères. Ajouté à cela, l’appel ferme et sans équivoque du président Assimi Goïta aux groupes armés à déposer les armes et à dialoguer directement, devrait convaincre les Maliens sur le nouveau leadership crédible pour conduire le processus.
La Charte nationale pour la paix et la réconciliation représente une opportunité significative pour notre pays, grâce à son approche inclusive et souveraine. Cependant, son succès dépendra, comme l’a dit le président de la transition, le Général d’armé Assimi Goïta, de l’implication de tous les Maliens dans son partage et sa mise en œuvre. Sans une implication plus large, des ressources conséquentes et une volonté politique soutenue, les chances d’instaurer une paix durable resteront limitées à court terme. À moyen et long terme, un engagement sérieux dans la mise en œuvre pourrait améliorer les perspectives, et cela nécessitera de surmonter des obstacles structurels profondément enracinés. Pour l’instant, la Charte est un pas dans la bonne direction. Aux dires des experts son impact dépendra de la capacité des autorités de la transition à transformer ses ambitions en actions concrètes.
EL HADJ SAMBI TOURÉ
Source : Info Matin
Lire l’article original ici.