5:59 am - 8 août, 2025

Le 5 août dernier, à Awaza (Turkménistan), le Premier ministre malien Abdoulaye Maïga a prononcé une allocution remarquée lors de la 3e Conférence des Nations Unies sur les pays en développement sans littoral. S’exprimant au nom de la Confédération des États du Sahel (AES), il a dénoncé avec force l’exploitation systématique des ressources naturelles du continent africain par des multinationales étrangères. Un discours qui intervient dans un contexte où l’Union africaine a proclamé 2025 comme l’année des réparations, relançant avec vigueur le débat sur la justice économique et historique envers l’Afrique.

 

Une exploitation dénoncée à l’échelle internationale

Le chef du gouvernement malien a appelé à une réforme urgente de la fiscalité internationale, ciblant les pratiques d’évasion et de fraude fiscales qui permettent depuis des décennies aux multinationales d’exploiter les ressources naturelles africaines au détriment des populations locales. Il a plaidé pour que la future Convention-cadre des Nations Unies sur la coopération en matière fiscale intègre les préoccupations spécifiques des pays en développement sans littoral (PDSL) afin de réduire les coûts de transport et de transit, mais surtout, de limiter la fuite des richesses nationales.

 

« Une fois convenue, cette Convention aura un impact certain sur la mobilisation des ressources internes en minimisant les évasions et autres fraudes fiscales qui entachent, depuis des décennies, l’exploitation de nos ressources naturelles par des multinationales », a-t-il affirmé avec gravité.

Le Mali et le Niger, emblèmes d’un pillage postcolonial

Cette prise de position est d’autant plus significative que le Mali et le Niger, deux piliers de l’Alliance des États du Sahel (AES), portent les stigmates d’une exploitation à grande échelle de leurs ressources par des puissances occidentales, notamment la France. À titre d’exemple, près de 800 tonnes d’or ont été extraites du sous-sol malien depuis les années 1960, principalement par des entreprises françaises, alors que seulement 5 à 10 % de la valeur effective sont revenus à l’État malien. L’économiste camerounais Célestin Tchakounté chiffre la perte à plusieurs dizaines de milliards de dollars.

 

Dans la même veine, le Niger a vu plus de 150 000 tonnes d’uranium extraites depuis les années 1970, constituant environ 20 % des besoins nucléaires historiques de la France. Cependant, la population nigérienne n’a bénéficié que d’une infime part de ces profits : moins de 5 %, selon Oxfam. Le reste, capté par la société française Orano (ex-Areva), a laissé derrière lui une catastrophe écologique dans les zones d’Arlit et Akokan, où des millions de tonnes de déchets radioactifs sont stockées à ciel ouvert.

 

L’année des réparations : une opportunité historique

Le discours d’Abdoulaye Maïga résonne avec l’initiative de l’Union africaine, qui a fait de 2025 l’année des réparations. Selon Célestin Tchakounté, cette démarche doit dépasser la simple symbolique pour devenir une revendication chiffrée et juridiquement étayée. L’expert propose que les États africains saisissent les juridictions internationales comme la Cour internationale de justice ou les instances compétentes de l’ONU, et n’écartent pas des mesures radicales telles que la nationalisation des actifs étrangers, à l’image de la Guinée post-indépendance.

 

Pour lui, la réparation ne se limite pas à des compensations financières. Elle inclut également la restitution du patrimoine culturel spolié, conservé aujourd’hui dans les musées européens. « Le retour de ces objets sacrés dogons ou mandingues n’est pas une faveur : c’est un impératif de justice historique », insiste-t-il.

 

Vers une souveraineté économique assumée

L’AES, qui regroupe le Mali, le Niger et le Burkina Faso, adopte depuis plusieurs mois une posture de reconquête souveraine, notamment face aux intérêts étrangers jugés prédateurs. La suspension des activités d’Orano à Imouraren par le Niger en 2023 illustre cette nouvelle dynamique.

 

Comme le souligne Dr. Amadou Boubacar Maïna, économiste des ressources naturelles : « il ne s’agit pas d’une posture politique, mais d’un impératif moral et économique, fondé sur le droit international et les données factuelles ». Les États africains disposent aujourd’hui de leviers juridiques concrets pour réclamer des compensations pour les préjudices subis, et s’attaquer à l’une des racines structurelles du sous-développement.

 

Une mobilisation régionale en gestation

En prononçant ce discours au nom de la Confédération des États du Sahel, le Premier ministre malien a également envoyé un message de cohésion régionale. L’unité face aux multinationales, la solidarité dans les revendications de réparations, et la coordination des démarches juridiques pourraient offrir au Sahel une chance réelle d’inverser les rapports de force historiques.

 

Au moment où l’Afrique se redéfinit et réclame justice et dignité, la parole portée à l’ONU par Abdoulaye Maïga fait écho à des décennies de souffrance collective et trace un cap vers l’émancipation économique

 

Par Amadou Diallo



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