es visites dans notre pays de Rudolph Atallah (8-11 juillet 2025), directeur adjoint principal pour la lutte contre le terrorisme au Conseil de sécurité nationale, et de William B. Stevens (21 juillet 2025), sous-secrétaire d’État adjoint pour l’Afrique de l’Ouest et envoyé spécial pour le Sahel, signalent une volonté de l’Administration Trump de relancer la coopération sécuritaire entre les États-Unis et le Mali.
Lors de son séjour, Rudolph Atallah a mis l’accent sur la lutte contre le terrorisme, proposant une assistance technique adaptée aux besoins du Mali tout en respectant sa souveraineté dans le choix de ses partenaires. Les États-Unis manifestent un intérêt particulier pour l’AES, encouragée comme un mécanisme régional de lutte contre le terrorisme. Atallah a salué l’idée d’une force conjointe de l’AES pour mutualiser les ressources et renforcer les capacités opérationnelles face aux menaces asymétriques. Cette approche suggère que Washington voit l’AES comme un levier pour stabiliser le Sahel, tout en respectant l’autonomie des États membres.
Quant à William B. Stevens, il a insisté sur un dialogue « franc et direct » pour renforcer la collaboration dans les domaines de la sécurité et du commerce. Il a mis en avant des opportunités de coopération économique, notamment dans le commerce et l’investissement. Il a rappelé la visite d’une délégation d’hommes d’affaires maliens aux États-Unis en mai 2025, signalant un intérêt pour diversifier les secteurs d’investissement et stimuler le développement économique. Cette dimension économique vise à renforcer les relations bilatérales dans un cadre de « respect mutuel » et à attirer des investisseurs américains.
Les deux émissaires ont insisté sur le respect de la souveraineté de notre pays dans ses choix d’alliances, une posture qui contraste avec les tensions passées liées à la présence militaire française ou à la coopération russe. Atallah a déclaré que les États-Unis « proposent leur aide » sans imposer de conditions, laissant au Mali la liberté de décider. Cette approche pragmatique semble conçue pour regagner la confiance des autorités de la transition.
Malgré ces ouvertures, des interrogations subsistent au Mali, notamment sur les réelles motivations américaines. Le grand retour des États-Unis en 2025 soulève des questions sur la crédibilité de leur engagement, surtout dans un pays encore en transition politique. Certains observateurs locaux se demandent si ce regain d’intérêt est motivé par des considérations géostratégiques (contrebalancer la Russie et la Chine) plutôt que par un véritable engagement à long terme.
La volonté de l’Administration Trump de relancer la coopération sécuritaire et économique avec notre pays, alors qu’elle n’est pas sans savoir que le Mali souverain est engagé dans un partenariat stratégique avec la Russie, notamment dans la lutte contre le terrorisme, soulève des enjeux géopolitiques, sécuritaires et économiques complexes.
Depuis la rectification intervenue en mai 2021, notre pays est engagé avec la Russie à travers des accords militaires impliquant l’envoi d’instructeurs et des livraisons d’armes. Cette relation s’inscrit dans un rejet des partenaires occidentaux traditionnels (France, UE) et une volonté d’autonomie stratégique, notamment en matière de choix, de partenariat stratégique et de défense des intérêts du Mali. Pour l’Administration Trump, il s’agirait de contrer l’expansion de l’influence russe dans le Sahel, région clé pour ses ressources stratégiques et la lutte contre le terrorisme, dans un contexte de rivalité mondiale.
La transition souveraine de notre pays privilégie des partenariats non conditionnels, comme celui avec la Russie, qui évite les pressions sur la démocratie ou les droits humains. Une coopération avec les États-Unis pourrait être perçue comme une tentative d’ingérence, mais l’approche transactionnelle de Trump, moins axée sur les réformes politiques, pourrait être plus acceptable pour le Mali du Général Assimi Goïta, très strict sur la question de souveraineté.
Pour cause ? Le Mali fait face à une insécurité persistante due aux groupes armés djihadistes (JNIM, EIGS) et à leurs sponsors ainsi qu’aux affrontements armés épisodiques avec les séparatistes du Front de libération de l’Azawad (FLA). En dépit de la reprise de Kidal le 14 novembre 2023, notre armée fait toujours face à la complexité de la menace. Si les États-Unis pourraient offrir une expertise complémentaire (renseignement, drones, formation via le TSCTP), il faudrait craindre une dépendance ou des conditions implicites, comme une réduction de la présence russe.
Or, notre pays, membre fondateur de l’Alliance des États du Sahel (AES) avec le Burkina Faso et le Niger, partage une orientation pro-russe et anti-occidentale affirmée et assumée. Une coopération avec les États-Unis pourrait compliquer ses relations avec des alliés, surtout après les accusations récentes (par exemple, du Niger) liant des acteurs occidentaux à la déstabilisation régionale via des soutiens à des groupes rebelles.
Le Mali, affecté par une économie fragile et une dépendance à l’exportation de l’or et du coton, cherche à diversifier ses partenaires. La Russie a promis des investissements (mines, énergie via ROSATOM), mais faudrait-il se limiter à cette seule sphère économique ? Les États-Unis pourraient proposer des investissements dans les infrastructures, l’agriculture ou les énergies renouvelables, sauf que ces initiatives risquent d’être assorties de conditionnalités de gouvernance. Toutes choses que notre pays abhorre et va certainement rejeter.
Dans le secteur des ressources stratégiques, notre pays attire les grandes puissances pour son or et son uranium. La Russie a sécurisé des concessions minières, et les États-Unis pourraient chercher à garantir un accès pour leurs entreprises, limitant ainsi l’emprise russe et chinoise. Mais, les autorités de la transition ont, à longueur d’oukases, capitalisé sur le sentiment anti-occidental pour asseoir leur légitimité, présentant la Russie comme un partenaire fiable, loyal et respectueux de notre souveraineté. Une coopération avec les États-Unis pourrait être impopulaire, surtout si elle est vue comme une tentative de marginaliser la Russie.
Toutefois, le gouvernement de Trump, avec son style pragmatique et transactionnel, pourrait proposer des accords bilatéraux attrayants (équipements militaires, investissements directs) sans insister sur des réformes démocratiques, ce qui pourrait séduire Bamako. Cependant, toute perception d’ingérence risquerait de provoquer une méfiance et de provoquer un rejet poli.
En s’appuyant sur la Russie, notre pays s’était partiellement et provisoirement coupé des bailleurs occidentaux (FMI, Banque mondiale). Une coopération avec les États-Unis pourrait réduire cet isolement, mais elle nécessiterait un équilibre délicat pour ne pas aliéner la Russie ou les partenaires de l’AES. En effet, la relance de la coopération avec les États-Unis pourrait offrir des ressources complémentaires (technologie, formation, investissements), renforçant la sécurité et l’économie maliennes. Cela exigerait une diplomatie habile pour naviguer entre Washington et Moscou. Pourrions-nous être plus souples, pardon, plus diplomatiques ?
L’avenir le dira.
El Hadj Sambi Touré
Source : Info Matin
Lire l’article original ici.