12:07 am - 6 août, 2025

L’interpellation de Moussa Mara et de Choguel Kokalla Maïga, deux anciens Premiers ministres du Mali, peut être considérée comme un potentiel chantage politique dans le contexte de la situation politique tendue de notre pays.

Ces interpellations semblent viser à réduire au silence deux figures influentes qui ont critiqué la dérive autoritaire et le retard dans la transition démocratique. Bien que les autorités puissent invoquer des motifs légaux, le manque de transparence et les antécédents de répression suggèrent une instrumentalisation judiciaire pour consolider le pouvoir.
Dans ce contexte particulier de la transition que vit notre pays, les interpellations de figures politiques influentes comme Moussa Mara et Choguel Kokalla Maïga, toutes deux critiques envers la junte, s’inscrivent dans une dynamique de contrôle politique.
Ancien Premier ministre (2014-2015), Moussa Mara a été arrêté le 1er août 2025 pour un tweet publié le 4 juillet 2025, dans lequel il exprimait son soutien aux « prisonniers d’opinion » et promettait de lutter pour leur justice. Il est accusé d’« atteinte au crédit de l’État », d’« opposition à l’autorité légitime », d’« incitation au trouble à l’ordre public » et de « publication de fausses nouvelles ». Son procès est fixé au 29 septembre 2025. Son avocat, Maître Mountaga Tall, a dénoncé des poursuites politiquement motivées, notant que la détention s’appuie sur les mêmes faits déjà examinés sans éléments nouveaux.
Premier ministre de transition de 2021 à novembre 2024, Choguel Kokalla Maïga a été limogé par Assimi Goïta après avoir critiqué le manque de transparence dans la gestion de la transition et l’absence de calendrier électoral. Le 1er août 2025, il a été auditionné pendant neuf heures par le pôle économique et financier de Bamako pour des allégations de « gestion financière irrégulière » liées à son rôle de président du conseil d’administration de l’Agence de gestion du fonds d’accès universel (AGEFAU). Il a été relâché après l’audition, mais l’affaire reste ouverte.
Pour beaucoup d’observateurs, leur interpellation s’apparente à un chantage politique qui ne dit pas son nom. En effet, le terme « chantage politique » implique l’utilisation de pressions judiciaires ou administratives pour réduire au silence, discréditer ou contrôler des adversaires politiques. Or, plusieurs éléments soutiennent cette hypothèse dans le cas des deux anciens Premiers ministres.
– Les interpellations s’inscrivent dans une vague de répression contre les voix dissidentes. Depuis 2024, les autorités de la transition ont intensifié les actions contre les opposants, comme l’arrestation de deux proches de Choguel Kokalla Maïga, Kader Maïga, pour avoir critiquer, et Boubacar Traoré, en mai 2024, pour un communiqué critique du M5-RFP (Mouvement du 5 juin – Rassemblement des forces patriotiques). Dans ce registre on ne peut faire économie de la suspension des activités politiques.
Les accusations contre Mara et Choguel semblent viser à limiter leur influence, surtout après leurs critiques publiques de la transition. Enfin, à contre-courant du narratif officiel, l’opinion malienne aujourd’hui pense que, pour reprendre un activiste sur la question, notre justice n’est « ni juste ni impartiale », qu’elle sert des « objectifs obscurs » plutôt que la lutte contre la corruption. Toutes choses qui renforcent l’idée que ces interpellations pourraient être instrumentalisées.
Les charges liées au tweet de Moussa Mara (atteinte au crédit de l’État, fausses nouvelles) sont souvent utilisées dans des contextes singuliers pour criminaliser la liberté d’expression. Son soutien aux ‘‘prisonniers politiques’’, dans un climat où la transition est critiquée pour son retard pour le retour à l’ordre constitutionnel, pourrait être perçu comme une menace à la transition elle-même. L’absence d’éléments probants dans son dossier, comme souligné par son avocat, suggère une volonté de le maintenir sous pression.
Connu pour son indépendance et son renoncement à sa pension d’ancien Premier ministre pour des raisons éthiques, Mara représente une figure morale difficile à discréditer. Son arrestation pour un simple tweet pourrait viser à l’intimider et à décourager d’autres voix prodémocratie.
Pour ce qui est de Choguel Kokalla Maïga, les accusations de gestion financière irrégulière surviennent peu après ses critiques virulentes contre la transition, notamment sur les réseaux sociaux en juillet 2025, où il dénonçait une « minorité » usurpant le pouvoir du peuple. Le timing de son audition, juste après celle de Mara, suggère une tentative coordonnée de neutraliser des poids lourds politiques qui pourraient, par leur popularité et la crédibilité, faire ombrage aux autorités de la transition.
Choguel Kokalla Maïga, en tant que leader historique du M5-RFP avait initialement soutenu les auteurs du coup d’Etat. Sa rupture avec les militaires, marquée par son limogeage en novembre 2024 et ses critiques publiques, en font une cible potentielle pour des représailles.
Toutefois, les autorités maliennes justifient ces interpellations comme des mesures légales pour protéger l’ordre public ou lutter contre la corruption. Par exemple : les accusations contre Choguel portent sur des faits précis liés à la gestion de l’AGEFAU, et il a été relâché après audition, ce qui pourrait indiquer une enquête légitime plutôt qu’une persécution. Quant aux charges contre Mara, elles s’appuient sur des lois contre la cybercriminalité, appliquées dans d’autres contextes pour sanctionner des discours jugés subversifs. Selon l’accusation, le tweet du 4 juillet incitait à l’instabilité dans un pays déjà fragilisé par le terrorisme et l’insécurité.
Pour autant, le timing des interpellations, juste après des critiques publiques, et les failles dans les procédures judiciaires (notamment pour Mara, où aucun élément nouveau n’a été ajouté au dossier) affaiblissent cette hypothèse de la légalité. Le climat de répression générale, avec la dissolution des partis et la censure des médias, suggère que ces actions visent davantage à museler l’opposition qu’à faire respecter la loi.
Si le chantage politique peut être défini comme l’utilisation de pressions judiciaires ou administratives pour forcer des acteurs politiques à se conformer ou à se taire, dans ce cas la détention prolongée de Moussa Mara jusqu’au procès du 29 septembre 2025 pourrait servir à décourager d’autres figures de s’exprimer publiquement contre la transition. Son statut d’ancien Premier ministre et sa réputation d’intégrité en font une cible symbolique pour intimider les pro-démocrates.
Pour ce qui est de Choguel Kokalla Maïga, bien que relâché, la menace d’une affaire judiciaire non close pourrait être une épée de Damoclès pour le contraindre à modérer ses critiques. Sa position influente sur l’échiquier politique notamment au sein du M5-RFP et son passé de soutien à la junte en font une figure à neutraliser pour éviter qu’il ne rallie d’autres dissidents.
En outre, ces interpellations envoient un message clair à la classe politique et à la société civile : toute critique de la transition peut entraîner des conséquences judiciaires, même pour des figures de haut rang. Cela s’apparente à une stratégie de chantage politique pour maintenir le contrôle dans un contexte où la transition fait face à des pressions internes (crise sécuritaire et politique) et externes (rupture avec la CEDEAO et la francophonie).

Source : Info Matin



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